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Il ne devait pas pleuvoir

Il ne devait pas pleuvoir

Quand le documentaire était sorti, en 2005, il pleuvait déjà. Mais juste un peu. Et puis nous étions dublinois. Le film s'appelait The Devil & Daniel Johnston. Nous étions allés le voir à l'Irish Film Centre. 
L'affiche du film m'avait sauté au coeur. Des couleurs certes mais aussi des formes un peu dérangeantes. Qui a dit dérangées ? Non, pas encore.

Il ne devait pas pleuvoir

Comme son titre l'indique, son sujet était une personne dénommée Daniel Johnston. Et ses diableries, dira-t-on. Dessinateur, musicien. Grand fan des Beatles en particulier. C'était maladif chez lui, comme le reste à vrai dire. Oui je me devais d'y aller.
J'apprenais deux choses avant de voir le film. Cet illustre inconnu était devenu au fil des vingt années précédentes, une figure un peu mythique de la musique indépendante américaine (on dira indie US). Et aussi que la plus parlante des images était cette photo de Kurt Cobain adoubant, si je puis dire, Daniel Johnston en portant un tee-shirt illustré d'un de ses dessins. Johnston avait utilisé cette étrange grenouille (aux yeux d'escargot ?) pour illustrer une de ses cassettes.

Il ne devait pas pleuvoir

Oui il est ici question de cassettes. De chambre d'adolescent (peu importe que l'ado ait quarante ans), d'odeur de cigarettes froides, de sueur qui pue tout autant et d'une vieille guitare acoustique. L'adulescent c'est donc Daniel Johnston, il vit encore chez ses parents. Il vénère les Beatles, les Beach Boys ou encore Syd Barrett et Jonathan Richman. Il s'enregistre sur son magnétophone Sanyo et fait circuler depuis la fin des années 80 des cassettes de ses chansons. C'est lui-même qui les recopiait et qui les distribuait aux clients du McDonald's dans lequel il travaillait à l'époque.

Il ne devait pas pleuvoir
Il ne devait pas pleuvoir

Ses chansons, tout autant que les illustrations de ses cassettes, vont grâce au bouche à oreille attirer l'attention de beaucoup de musiciens. D'ailleurs ses chansons ont été popularisées (si je puis dire !) par bien d'autres que lui : Beck, Tom Waits,  TV on the Radio, Eels, Death Cab for Cutie, Mercury Rev ou encore Sparklehorse et les Flaming Lips. Il y a un peu plus d'un mois mon coeur avait sauté un battement lorsque devant moi au milieu de la mer Méditerranée et de la nuit, Yo La Tengo reprenait un de ses titres.


Est-ce sa passion pour les Beatles ? Il met souvent l'accent sur la mélodie. Des mélodies pures sur lesquelles il vient chanter ses démons avec une drôle de naïveté, souvent de façon dérangeante.

Parfois les pistes ne durent que quelques secondes. Parfois elles s'étirent pendant de longues minutes tout au long de sa voix cassée. Une voix de moineau qui aurait un chat dans la gorge. Il chante mal. Mais certaines de ces compositions touchent au sublime.

J'étais ressorti sonné du cinéma en me demandant ce que j'avais vu et surtout entendu. Évidemment, les jours suivants je me mettais en quête des chansons que j'avais entendues. Le succès du documentaire permit de rendre celles-ci facilement disponibles. Vous vous souvenez des cds (disques compacts) ? Bah voilà. Et puis il y avait eMule et les mp3.

Dans la foulée, je m'achetais la reproduction du fameux "tee-shirt que portait Kurt Cobain". Comme des milliers de moutons qui venaient de tomber amoureux de cet homme, Daniel Johnston. Et de ses diableries.
On ne le dit pas souvent mais les moutons ont l'âme sensible. 

Il ne devait pas pleuvoir
Il ne devait pas pleuvoir
Il ne devait pas pleuvoir

Je ne l'ai pas encore dit alors que c'est justement un des sujets du documentaire, Daniel est malade. Il souffre de troubles mentaux qui vont nourrir son imagination, ses dessins et ses chansons. Voilà ce diable, voilà les diableries. Schizophrénie et bipolarité. Mais sa santé va surtout l'empêcher de vivre normalement, pour dire un gros mot : de faire une carrière dans la chanson (ou le dessin).

Ces dessins que je retrouvais dans les années 2010, à Berlin. Dionysos venait de sortir leur compilation Eats Music!!! et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que c'est Daniel Johnston qui en avait conçu tout le visuel.

 

Oui mais voilà, ce matin à Berlin il devait faire beau. Un joli soleil était annoncé et pourtant quand je suis sorti le ciel était chat gris. Daniel Johnston est mort hier d'une crise cardiaque. Il ne devait pas pleuvoir pourtant. Et j'ai pleuré.

 

 

Et puis je ferme les yeux, je suis un poil plus jeune. Nous sommes encore en Irlande, à Dublin. Il ne pleut pas ce dimanche 27 juillet 2008. Nous étions allés écouter, allés voir, Daniel Johnston au Whelan's, ce petit pub, club, au 25 Wexford Street. Tout le monde le dit, et peut-être vous vous en doutez déjà : assister à un de ses concerts était du plus grand incomfort. Il tremblait tout du long, oubliait les paroles. C'était une douloureuse expérience. Voyeurisme de notre part, nous avions vu celui dont la vie nous avait tant émus sur le grand écran trois ans auparavant. Ici, des images tournées ce soir là.

Daniel Johnston le 27 juillet 2008 au Whelan's

Parmi les amis qui l'accompagnaient ce soir là, il y avait Mark Linkous (Sparklehorse). Encore une âme belle et torturée qui n'est plus là aujourd'hui.

Mark Linkous le 27 juillet 2008 au Whelan's

 

Mais voilà la nuit et déjà derrière, tout près, le soleil qui se lèvera. Promesse de l'aube. Les chansons de Daniel Johnston sont encore là, à jamais. Comme une Irlande qui chanterait pour toujours.

Étrange, passionné et tellement les émotions à fleur de peau que l’écouter peut ressembler à un acte d’agression de la part du chanteur et à un acte de voyeurisme pour l'auditeur. Sans ironie aucune, Daniel Johnston a chanté le monde comme un gamin de 13 ans le voit.

Strange, passionate, and so nakedly emotional that listening to it can feel like an act of aggression on the part of the singer, and an act of voyeurism for the receiver. Devoid of irony, Johnston sang the world the way that 13-year-olds see it.

Shannon Miller & William Hughes - 12 septembre 2019