Quand je sors du S-bahn à Warschauer Straße, je me revois un an en arrière. Claudia m'y avait amené et c'est une des vues de Berlin qui me plait le plus. On vient donc de l'Est et de la tour BASF à gauche jusqu'à l'extreme droite on voit se découper dans la nuit (je n'y suis allé que de nuit !) des silhouettes de bâtiments typiquement berlinois. A quelque chose près, ça donne ceci.
Cette station de S-bahn est totalement aérienne, je veux dire sans toit, seulement des quais comme une gare classique quoi. Voici quelques photos devant la station.
Bientôt, je rencontre pour la première fois Adrien, le copain d'une amie qui m'a filé son email. Je viens avec une bouteille de Beaujolais nouveau dont le prix est environ trois voire quatre fois moins qu'à Dublin (toujours surtaxée concernant les vins... triste). Je suis surpris de la taille de la chambre d'Adrien mais ici, ce sont les standards. Bientôt un autre français nous rejoint, Cédric. Vachement sympa et intéressant. On discute de nous, de nos vies, nos rencontres. Bientôt Adrien nous demande ce que l'on veut qu'il joue comme musique. Comme de la bonne Soul des années 60 passe à la radio je ne dis rien. Cédric dit alors: "bah tiens je me suis réécouté récemment du Beatles, Pepper et Abbey Road... alors pourquoi pas ?". Pourquoi pas en effet ? Je ne trouve rien à redire et la basse crasseuse et funky à souhait de "Come Together" vrombit quand je finis la bouteille de jaja.
On prend trois moyens de transport pour aller à la soirée qui a lieu dans le gros quart sud-est de Berlin chez trois filles dont une est la copine de Cédric. Dans le métro (U-bahn) on rencontre un italien qui est sur Berlin pour participer à un spectacle de danse. Arrivés sur Neukölln (ca se prononce noï keulne) la fête a déjà bien commencé et une petite quarantaine de personnes sont dans cet appartement de trois chambres, une petite cuisine et un salon riquiqui. Il y a essentiellement des allemands mais je ne vais pas vous surprendre avec ça ! Du coup je me sens vachement gêné. Quand on vit dans un pays il est normal d'en parler la langue et je commence chacune de mes phrases par un truc qui donnerait à peu près ceci en français: "Moi parle pas la française". Et puis j'enchaine illico avec ma petite histoire, tout ça dans la langue de George Bush. Embarrassant n'est-il pas ?
Mais je reste la plupart du temps avec mes nouveaux potes français. On parle de tout et de rien. Surtout de rien. Et puis bien sur on parle de la France. De vivre à l'étranger. J'ai fait six thèses sur ce sujet en Irlande. Je maitrise bien. Les quelques allemands qu'on me présente, en plus de parler l'anglais (natürlich) parlent le français. Et puis pendant trois minutes et dix-sept secondes je me crois en octobre 2001. Je danse gentiment sur "Last Nite" des Strokes pendant que de la bonne electro semble passer dans la pièce à coté. Mais quand la chanson finit je sens soudain le poids de mon ventre tomber sur mes genoux. Et puis j'ai soif. Je re-re-regoute cette bière du nord de l'Allemagne, une lager qu'elle est bonne, qu'elle est crispy et fraiche. Tellement que je n'en sais plus le nom. Faim. Je me fais un chemin au milieu des 70 personnes qui sont maintenant dans l'appartment pour rejoindre mon meilleur ami du moment: un gâteau à la poire et à la cannelle incrusté de noix. Je me mets alors dans le coin en dégustant le délicieux dessert. Un grand gars chevelu fait de même à environ 18 centimètres de moi. Oui la cuisine, voir plus haut, est vraiment petite. La fatigue aidant je prie pour que le gars ne m'adresse pas la parole. Il est visiblement allemand (ach... nos amis allemands, je sais qu'ils nous regardent !) et je n'ai plus la force de faire mon speech germano-franco-anglais matiné de morceaux de poire dégoulinant de ma salive. Pan ! Ca ne manque pas: im'koz (il me cause) ! On papote comme ça dans la vide et en anglais pendant cinq minutes avant qu'il ne réalise que je ne suis pas irlandais mais francophone. Il me dit alors qu'il revient d'un an en Erasmus à... Grenoble ! Sourire. Joie. Onomatopées. Echantillon: "aaah !?? oooh ! Eeeeeeeheeeeh !". Il me dit tous les endroits que je ne connais pas. Ca donnerait presque envie d'y faire un tour. Je lui parle de la Fac, du No Name Café, de ma Fnac où ils viennent de refaire les escaliers en marbre grâce à tout l'argent que j'y ai dépensé en 1995/96/97.
Je suis bien fatigué maintenant. Il est 1h30 et je me dis stop ou encore. Stop. Je dis au revoir à Cédric qui a bien la forme. Les autres, je ne les trouve plus dans la masse des gens. Quelqu'un me dit: "attention il neige beaucoup, il fait extremement froid !". "Ah bon ??". je me laisse glisser le long des escaliers et dehors j'ai le plus beau cadeau. Il a du arrêter de neiger quelques minutes auparavant. Il fait plutot bon, je retire mes gants (est-ce le mariage Beaujolais / lager ?). Mes pas dans la neige, comme dans la chanson de Keren Ann font une chanson qui me ramène cette fois 25 ans en arrière. J'ai sept ans et un énorme sourire sur les lèvres. Je cours puis je m'arrête, je prends mon élan, je saute les pieds joints et ca fait krrrrrrr quand je tombe dans la neige. Trop bon ! Je suis seul au monde. Berlin est une ville immense et il n'est pas rare, parfois, de ne croiser personne dans une rue.
J'ai un regain d'énergie et parviens comme un grand (sept ans quand même hein !?) à trouver mon chemin dans la nuit. Le bus de nuit dure pour toujours et tout est blanc autour de moi. Je marche ensuite de l'arrêt de bus jusqu'à la maison... à reculons. J'ai presque envie d'arrêter le temps. J'entends alors Piaf qui hurle dans mes oreilles un de ses titres qui me fait sentir vivant. Quand je l'entends, j'imagine ma copine Stéphanie en train de gouailler (ca se dit ?) au coin de la place St Michel à Bordeaux. Piaf et elle se superposent parfois dans ma tête.
Tiens, v'là un marin
Sacré nom d'un chien
C'est chouette un marin
Quand ça vous revient
Tiens, v'là un marin
Moi j'aime les marins
De voir ce marin
Ça me rappelle le mien
Et puis je me laisse tomber dans le lit avec le chat comme oreiller. Quand je ferme mes yeux, même l'intérieur de mes paupières étincelle du blanc de la neige.