Voici un article paru dans Le Monde daté du 21 décembre dernier.
A la boulangerie de la "portière nord", la clientèle des matins froids ne passe plus. Au Quick de la "portière sud", d'ordinaire "le coup de bourre c'est jusqu'à 14 heures. Mais là, à 12 h 30, c'est plié". Quand au"Romarin", brasserie routière à 100 mètres de l'entrée principale, Patrick Limousin, le patron, a renoncé à ouvrir aux aurores. Désormais, c'est 6 h 30 au lieu de 4 h 30 et "surtout pour rendre service" aux habitués. Seule valeur sûre, refuge même en ce temps de crise : le PMU.
Avec le chômage technique, le pays de Montbéliard découvre une nouvelle vie. Les ouvriers aussi. Une vie à la maison, comme Farouk Khaldi, 58 ans, magasinier et délégué syndical CGT. Une vie où " on se lève, on fait à manger, on emmène les enfants au karaté". Une vie où il s'est fixé des objectifs malgré tout : réparer les vélos des gamins, regonfler le ballon de football, "faire l'armoire" de la chambre de sa fille qui attend depuis longtemps.
Il y a aussi le manque à gagner pour tout ce monde ouvrier. Pour les employés de PSA, il est limité. M. Khaldi le relativise d'ailleurs. Seules lui manquent ses primes, "casse-croûte", "pénibilité" et "insalubrité" : environ 30 à 50 euros sur un mois. Une petite somme, pour ses 1 400 euros net de salaire après trente-sept années d'ancienneté, mais bien moins que ses collègues de nuit, qui perdent jusqu'à 180 euros. Et puis lui, à sa façon, a de la chance : sa femme ne travaille pas à "Peugeot-ville" ; elle est aide-soignante.
La situation est plus délicate pour les nombreux salariés des sous-traitants. Car eux aussi sont au chômage technique. Et dans des conditions beaucoup moins avantageuses que "les PSA". Leurs RTT, leurs congés payés, leurs compteurs temps ont été mis à contribution. Mais une fois épuisés, leur régime est devenu celui du chômage partiel, seulement 50 % de leur salaire par jour travaillé.
Ainsi de Sophie Luppus, 35 ans, employée de Delphingen, une société qui fabrique des gaines de câbles électriques pour PSA, Renault, General Motors. Ce n'est pas depuis le 5 décembre qu'elle
chôme, mais depuis le 20 octobre. En temps normal, elle gagne 1 189 euros net par mois. Mais au mois de novembre, elle a déjà eu 84 euros de moins, et en décembre, elle sait que ça sera 130
euros en moins. Et encore, c'est "grâce à son comité d'entreprise" qui prend en charge la moitié des pertes.
PAS DE PANIQUE
"Heureusement", en temps normal, son salaire ne lui suffit pas. Il ne lui reste que 40 euros, quand elle a payé ses factures et ses crédits à la consommation. Alors elle doit travailler comme serveuse, trois week-ends sur quatre, dans un dancing à la périphérie de Sochaux, "Le Moulin Rouge". Ce mois-ci donc, elle "fera" tous les week-ends.
D'ordinaire, l'année se compte en semaines, à "Peugeot-ville", la "32", la "41", etc. Et le problème de ces semaines chômées, les "49 à 52", en ce mois décembre, outre la perte de revenus, c'est la "flexibilité". Pour les équipes de nuits, en particulier. PSA a annoncé réfléchir à la suppression de sa chaîne de nuit, à la rentrée. Mais comme les modalités sont encore floues et pour ne pas perdre leur rythme, beaucoup s'obligent à télécharger des films sur Internet pour pouvoir ensuite s'en abrutir, la nuit.
"Au chômage partiel devrait correspondre des actions partielles pour les actionnaires !", s'agace Nabil Matoug, 37 ans, délégué CGT du sous-traitant Wagon.
Il y a de l'inquiétude, du stress, à "Peugeot-ville", mais pas de panique, toutefois. PSA est une valeur dont on n'imagine pas la chute. On ne cherche pas forcément à se reconvertir. On ne regarde pas forcément les petites annonces. De toutes façons, il n'y en a pas dans les agences d'intérim désespérément vides. Et puis comme le rappelle, sombre, Hamid Sellami, 33 ans, en formation : "Bouger pour aller où ? Ici, on mange, on dort, on se reproduit Peugeot." Dans les ZUP, les jeunes intérimaires désoeuvrés se sont déjà retranchés sur le "business".
Elise Vincent