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Madagascar : échos musicaux de l’île rouge de colère

Madagascar : échos musicaux de l’île rouge de colère

Quand j'étudais les Sciences du Langage à la fac de Grenoble au milieu des années 90, j'ai rencontré plusieurs personnes loufoques et dont le souvenir remonte parfois en pleine figure. C'est surtout le Village Olympique, mon logement pendant deux ans, qui semblait être riche en personnages hauts en couleurs.

J'avais notamment fait la connaissance d'un incroyable bipède de couleur noire et au sourire éclatant: Bruno, originaire de Madagascar. Il devait avoir 5 ans (plus ?) de plus que moi. Il sautait partout, il me sautait carrément dessus: littéralement ! C'est à dire qu'il entrait dans ma chambre après avoir frappé poliment à la porte. Puis il se tenait debout devant moi, les mains derrière le dos, sans rien dire. Et soudain il sautait sur mon lit où je bouquinais tranquillement ! J'ai jamais trop su pourquoi, si c'était une habitude chez lui ou bien si il aimait vraiment le contact de nos deux corps l'un sur l'autre. 

Bref, Bruno (Bruno R., derrière le R une suite de lettres longue comme l'ile de Madagascar), dans toute son animalitude, était le fils d'une femme qui avait de hautes responsabilités dans la politique de Madagascar. Il était lui-même étudiant en Sciences du Langage mais à un tout autre niveau que moi. Il travaillait avec mes professeurs. Depuis quatre ou cinq ans, quand j'entends les drames qui se nouent à Antananarive, les corruptions et maintenant les morts... je ne peux m'empêcher de penser à Bruno.

J'avais déjà un mal fou à retenir son nom de famille en 1996, je ne sais plus l'épeler aujourd'hui. Ce qui m'empêche de retrouver sa trace. Mais en permutant des voyelles avec d'autres, en saupoudrant de consonnes, je m'acharne sur internet et espère un jour pouvoir renouer le contact avec lui. Je ne sais pas si il fait partie des méchants ou bien des gentils mais j'aimerais pouvoir papoter avec lui de linguistique et de recherche sur le traitement automatique des langues (TAL) comme on le faisait (quand il ne me sautait pas dessus !).





Voici un article qui m'a beaucoup plu, publié sur Rue 89 en date du 15 février 2009.


Pour une fois je ne vais pas m'encombrer de politique, ou si peu, pour évoquer la situation à Mada. Le lien sacré avec la terre, qui alimente la révolte contre Ravalomanana, habite aussi une musique malgache profondément métissée.




Musiciens de Madagascar (DR)


Les troubles qui agitent l’île de Madagascar depuis quelque temps, si peu traités par nos journaux télévisés, remettent en lumière l’incroyable désintérêt des grands médias français pour l’Afrique.
 

Par sa position, proche de la pointe de l’Afrique, en plein océan Indien, la culture de l’île malgache a été façonnée par les multiples vagues d’immigrations africaines, indiennes et européennes, donnant naissance à des musiques diversifiées et colorées.
 

Ce gigantesque producteur de vanille est peuplé d’hommes et de femmes attachés à leurs racines qui doivent se réapproprier leurs terres comme l’illustre l’épineux problème Daewoo, catalyseur des nombreux mécontentements de la population.
 

La terre, élément sacré pour les musiciens aussi
 

Jean-Luc Raharimanana l’explique bien dans sa tribune publiée sur Rue89 "Les raisons de la colère contre le président de Madagascar".
 

Le point de non-retour entre les Malgaches et leur président a été dépassé lors de la découverte par le Financial Time que Marc Ravalomanana, actuel président, comptait louer à l’entreprise Daewoo, 1 300 hectares de terres, parmi lesquelles se trouve la "terre des ancêtres", pour faire pousser du maïs transgénique.
 

Cet élément sacré de la culture malgache, ce lien particulier avec la terre, se retrouve bien sûr chez ses musiciens.
 

Rajery est le parfait exemple de cette connexion si spécifique. Malgré un handicap à la main droite, il est devenu un virtuose de la valiha, longue harpe tubulaire emblématique de l’île de Madagascar. Et tandis qu’il tourne, depuis la fin des années 90, dans les festivals musicaux du monde entier, avec son association, il aide les jeunes Malgaches à apprendre les métiers agricoles, à développer le tourisme ou mieux équiper les fermiers déjà installés. Rajery promène son éternel sourire sur scène et en interview: (Ecouter le Mondo'mix de Rajery)
 

 


 

Parmi ces nombreux musiciens qui propagent les sonorités de leur île, on trouve des grands noms, du patriarche Rakotofrah, maître du sodina, flûte en bambou traditionnelle de la musique populaire, jusqu’au célèbre groupe Mahaleo, qui fut le premier à électrifier ses ballades dans les années 70.
 

Madagascar porte haut une forte tradition de chanteurs et d’instrumentistes, le guitariste D’Gary, Damily le porte drapeau du Tsapiky -une musique festive du Sud-Ouest-, le bluesman Tao Ravao qui fait sonner son kabosy, petit luth rectangulaire, Jaojoby, roi du salegy, sorte de funk rock malgache, et tant d’autres.

On peut aussi distinguer l’accordéoniste Régis Gizavo qui a, grâce à son exceptionnel touché, largement dépassé les frontières de son île.
 

Cette vidéo qui montre entre autre quelques secondes de son duo improvisé avec le musicien brésilien Lénine parle d’elle-même: (Ecouter le Mondo'mix de Régis Gizavo)

 



 

Les jeunes générations ne sont pas en reste, offrant toutes sortes de fusions modernes. Mikea, le prix découverte RFI 2008, délivre des chansons matinées de blues et de folk. Le groupe Tsiliva, chantre du kilalaky, rythme venant du sud de l’île, déplace les foules. (Voir le clip de "Oui oui", un des nombreux tubes de Tsiliva)

 



 

Et bien sûr, comme partout dans le monde et dans le reste de l’Afrique, les formats venus des Etats-Unis, le R’n’B, le slam, le rap, se sont imposés comme le medium préféré des nouvelles générations.
 

Le rappeur Big Jim Dah fait partie de cette vague d’artistes aux influences étrangères de plus en plus marquées et pourtant encore viscéralement attaché à ses origines. Comme en témoigne le morceau "Famadihana": (Voir la vidéo ci-dessous)

 




 

Pour terminer ce survol -forcément incomplet- des musiques malgaches, parlons de la jeune chanteuse expatriée Seheno, fille d’une lignée de musiciens, qui s’est laissée tenter par les expériences et les croisements. Elle s’accompagne d’un joueur de tablas, percussions indiennes, et d’un guitariste français: (Voir la vidéo de Seheno en concert à Radio France)

 




 

Il existe aussi un projet réunissant tous les grands noms des musiques traditionnelles de l’île de Madagascar sous la dénomination: Malagasy All-stars. La réunion accueille le guitariste Erick Manana, Régis Gizavo, l’autre maître de la valiha Justin Vali, Fenoamby et Dama de Mahaleo. On espère qu’ils connaîtront le même destin que leur pendant cubain, le Buena Vista Social Club. Alors n’hésitez pas à guetter la sortie imminente de l’album.