"Nous sommes plus populaires que Jésus désormais".
Aujourd'hui cela fait quarante-trois ans que John Lennon a prononcé ces quelques mots, parus dans la presse britannique en 1966. Il avait été interviewé par
Maureen Cleave, une de ces journalistes qui
était devenue au fil des mois une proche du groupe, alors un phénomène
boys band mais dont les premières compositions ne trompaient pas les amateurs de bonne musique. Lennon parlait bien
sur des
Beatles quand il disait
nous. Cette phrase est parmi les plus controversée de l'histoire du rock et
pourtant, elle ne fit pourtant aucun gros titre et passa inaperçue lorsqu'elle parue dans le
Evening Standard en 1966.
"Le christianisme disparaîtra. Il s'évaporera, décroîtra. Je n'ai pas à discuter là-dessus. J'ai raison, il sera prouvé que j'ai raison. Nous sommes plus populaires que Jésus, désormais. Je ne
sais pas ce qui disparaîtra en premier, le rock 'n' roll ou le christianisme. Jésus était un bon type mais ces apôtres étaient bêtes et moyens. C'est la manière dont ils ont tout déformé qui
gâche l'histoire pour moi."
Ce qui passe complètement inaperçu au Royaume-Uni, et même ailleurs dans un premier temps, provoqua un véritable scandale quelques mois plus tard aux États-Unis. Lennon fut littéralement crucifié
dès lors que ces propos furent repris, amplifiés et déformés sur une station de radio de l'Alabama. Des disques des Beatles, des images et posters du groupe ainsi que des jouets et autres objets
à l'effigie des
Fab Four furent brûlés en représailles de ces paroles jugées blasphématoires. La
Bible Belt
américaine ne tarde pas à mettre ces propos en applications. Certains animateurs de radio lançaient de véritables appels pour organiser à telle heure et à tel endroit des gros bûchers.
Paul McCartney tente bien de tourner l'affaire en dérision, en déclarant "Il faut bien qu'ils les achètent avant de les brûler !". Ringo Starr dira aussi: "tout ce qu'ils ont brûlés, tout
nos albums depuis nos débuts jusqu'en 1966, ils ont du les racheter ensuite ! Ah ah ah !".
Mais le mal est profond. Ainsi, à l'aube de leur ultime tournée, le 11 août 1966 à Chicago, John Lennon est obligé de se justifier devant les médias américains :
"Si j'avais dit que la télévision est plus populaire que Jésus, j'aurais pu m'en tirer sans dommage […] Je suis désolé de l'avoir ouverte. Je ne suis pas anti-Dieu, anti-Christ ou anti-religion.
Je n'étais pas en train de taper dessus ou de la déprécier. J'exposais juste un fait, et c'est plus vrai pour l'Angleterre qu'ici [aux États-Unis]. Je ne dis pas que nous sommes meilleurs, ou
plus grands, je ne nous compare pas à Jésus-Christ en tant que personne, ou à Dieu en tant qu'entité ou quoiqu'il soit. J'ai juste dit ce que j'ai dit et j'ai eu tort. Ou cela a été pris à tort.
Et maintenant, il y a... tout ça…"
Personnellement, ce qui m'avait frappé c'est que près de quarante ans après, on avait un exemple flagrant du retour en arrière des mentalités de certains américains sous (hasard, ô hasard)
l'administration Bush.
"Nous sommes honteuses que le président des États-Unis soit originaire du Texas."
Voilà la phrase, toute simple, cinglante et lourde de conséquences que Natalie Maines, chanteuse des
Dixie Chicks, a lancée
entre deux chansons lors d'un spectacle présenté au Shepherds Bush Empire de Londres, le 10 mars 2003. Il y a bientôt six ans.
La chanteuse faisait ce commentaire alors que les États-Unis s'apprêtaient à envahir l'Irak sans le consentement des Nations unies. Diffusée par le quotidien
The Guardian, la déclaration trouvait écho en Amérique dans les heures qui suivirent. Les chaînes d'information continue, les animateurs de radio et la droite religieuse ont
lapidé le groupe.
Commentaires haineux, boycott de leurs disques, et, rebelote, organisation de bûchers pour brûler leurs cds (ça brûle moins bien que les vinyles mais bon) se mirent en branle. Accusations de
traîtrise à la nation, refus de diffuser leurs chansons sur les ondes, surnoms d'«Anges de Saddam» et de «Dixie Sluts», les trois membres du groupe, Maines, Emily Robison et Martie McGuire auront
tout vu, tout entendu. Maines a dû faire protéger sa résidence en permanence, des ordures ont été déversées sur le terrain de Robison et le chauffeur de leur tournée a remis sa démission.
De quoi devenir fou, non ? Je manifestais alors hebdomadairement avec des amis sur Dublin. La situation m'enrageait et je ne savais comment faire pour, à mon petit niveau, aider les Dixie Chicks.
Comment expliquer un tel retour en arrière alors que le 21ème siècle commençait ? Depuis les années soixante et Lennon les technologies et plus particulièrement les technologies de l'information
avaient connu une telle révolution ! Lennon avait parlé en mars 1966 en Angleterre mais ce n'était pas avant l'été et leur tournée aux Etats-Unis que le sud du pays allait s'enflammer. Dans le
cas des Dixie Chicks, il a fallu quelques heures à peine, après la publication du compte-rendu du concert de Londres sur le site du Guardian pour que les radios du sud des Etats-Unis lâchent leur
fureur.
Le fait le plus révélateur du scandale de 1966 vient de la bouche même de Lennon quand il explique comment il a du faire face à ces critiques. "J'étais terrifiée", admet-il. "Une soir, pendant un
concert dans le sud, quelqu'un lança un pétard sur la scène. On avait reçu des menaces de morts notamment du
Ku Klux Klan.
On a alors eu tout les quatre la même réaction, on s'est regardé chacun en pensant que c'était l'autre qui s'était fait descendre. C'était vraiment terrible, je ne sais pas comment j'y ai
survécu. Ce fut notre dernière tournée."
On le sait tous, en 1980,
quatorze ans plus tard, la bêtise et la folie rattrapa Lennon. Il aurait pu s'arrêter pour prendre un
plat à emporter car il avait la fringale après une session d'enregistrement au studio. Mais il a préféré rentré directement chez lui pour pouvoir rentrer juste à temps pour border son fils et le
mettre au lit.
Au sujet de la déclaration de Lennon en mars 1966, un documentaire est visible sur le net (en anglais). Je ne l'ai pas encore vu mais il a l'air bien conçu. EDIT: Je crois bien qu'on ne peut le
voir en ligne si on réside hors des... Etats-Unis. Désolé !
Pour finir, cette citation du jeune barbu lui-même:
“Bigger than me?! That's not that hard to do, people back in my day were much shorter than they are today.”
~ Jesus à propos des Beatles