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Un moi sans toit

Un moi sans toit

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Voilà un mois... enfui comme ça.






Nous avons passé un superbe week-end profitant au maximum de ce petit coin de nature que je vante tant auprès de ceux que j'aime.

Notre dimanche fut si doux. Si triste aussi. Si bon.

On aurait pu commencer par "il était une fois" mais comme on s'est réveillé avec la fringale, on a commencé avec un petit déjeuner. Sur le balcon. On avait faim mais on n'avait pas tous faim. Certains laissèrent leur tartine et leur thé en proie aux petites mouches et aux rayons du soleil.




Felix a vraiment adopté notre balcon. Comme vous le voyez, il stresse. Il stresse quand il a avalé sa tartine et qu'on refuse de le resservir.






Et puis nous sommes partis à vélo. Non.
Pas le chat.

La route qui commence, tout près de chez nous, est vite pavée de... pavés. Alors pour ne pas se casser le dos on passe sur les chouettes trottoirs tout lisses sur lesquelles les piétons cohabitent avec la piste cyclable. Le lac est là, à notre droite, il joue à cache-cache avec nous derrière les grosses bâtisses de briques rouges, les arbres de la Berliner Forst. On va vite ce matin. Il fait beau et forcément, dans la tête, je me la chante.

Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
A bicyclette
Nous étions quelques bons copains
Y avait Fernand y avait Firmin
Y avait Francis et Sébastien
Et puis Paulette


Non pour dire vrai, Francis n'est pas venu.
Il avait piscine ou quelque chose ce jour là.
Ou quelque chose.

Je ne sais plus.


Pendant que je me bats avec mes pensées, nos mollets montent et descendent le long du chemin et nous voilà (déjà ?) au bord du lac. On a d'abord piqué sur la droite pour s'engouffrer dans le bois. Puis on a longé un joli canal qui étirait son silence à l'ombre des arbres. Il se jetait alors dans le lac après avoir étouffé des feuilles sur ses six cent derniers mètres.




Je n'avais encore jamais vu le lac depuis cet endroit, jolie vue sur les collines qui courent le long du côté sud. On reprend tout de suite les vélos pour se rendre à l'embarcadère. On attend que le Captain Igloo donne son feu vert et on y range nos bicyclettes. Quand on partait de bon matin...

Le bateau glisse doucement sur le lac et je repère déjà des maisons d'été que la forêt semble dévorer. On a du mal à savoir où commencent les jardins et où finissent les maisons elles-mêmes. C'est... idyllique.  On part vers le sud.




Il faudra que nous nous fassions une journée kayak quand la famille viendra. Un kayak isolé passe sur notre gauche.




Et puis c'est au tour d'une famille de canetons (une équipe de foot, non ? comptez pour voir !) de passer près de nous. Tout près du bateau. En se penchant un peu, et en soufflant doucement, je pourrais presque leur voler dans les plumes. Gentiment.




Quand nous quittons le petit ferry, Claudia consulte la carte et part en trombe. Non en vélo. Mais en trombe aussi. Les bras m'en tombent. Les bas m'en trombent.




Bientôt nous arrivons dans un endroit que peu connu. Claudia me dit que peu de gens à Köpenick savent que se niche au sud-est de leur commune ce petit lac. Nous arrivons tout en sous-bois près du lac Krumme (Krumme Lake). Instant étrange où je sens défiler en moi pleins d'images. Je pense aux bords de Loire que je connais si peu. Et puis à Clisson.  Ah Clisson (soupir) ! Je pense au "Grand Chemin". Je me dis que je ne connais pas encore cet endroit mais que ce n'est pas la première fois que j'y viens m'y perdre.

Entre les arbres apparaît peu à peu ce petit lac tout en longueur. Le lac Krumme doit faire environ six cent mètres de long. Peut-être plus.



Je prends quelques photos pendant que Claudia pose sur le sol sablonneux une de ces couvertures que nous avions achetées en grand nombre à Dublin.

Que c'est beau ! Que c'est paisible.
Je m'assois à ses côtés, elle s'allonge. Je m'allonge aussi. Quand elle ferme les yeux, j'essaie de garder les miens ouverts tout en évitant de laisser mon ventre me cacher cette belle vue. Dans quelques semaines on viendra s'y baigner. Et puis dans quarante ans, je m'y vois traîner mes os. En poudre ou en vacillant.



Quand un arbre se met à pousser dans sa bouche soudain ma tête part en arrière.



Je suis envahi d'une immense mélancolie qui vient jeter ses deux mains autour de ma gorge. Je ne peux articuler que ses neuf syllabes en anglais: "I just can't believe my dad is dead !". Et puis je me suis mis à pleurer.

Violemment.
Il m'était arrivé ces derniers quinze jours de retenir mes larmes. De sécher de mes poings la tristesse qui m'accablait par surprise alors que j'étais dans le métro par exemple. Mais là ce fut violent. Allongé. La tête et le regard perdu dans le bleu du ciel et le vert des arbres. Je hoquetais de douleur et m'étouffais de chagrin. Soudain quelqu'un ou quelque chose me disait que tout avait changé.

Je ne suis plus qu'un moi sans toit.
On m'a volé mon parapluie. Ma maison. Ma montagne. Mon père.
Ou bien je l'ai perdu. J'ai perdu mon parapluie. Ma maison. Les clés de ma maison. Je ne sais plus où est la route vers ma montagne.

J'ai perdu mon père.




Là. Près du lac. Il n'y avait rien à dire.
Alors on a rien dit.

J'ai laissé l'affreux masque du chagrin tomber sur mon visage. Ca fait mal, je vous assure. Mais je n'y pouvais rien. Ni les bruits étranges qui sortaient de mon gosier, ni l'eau salée qui trempait ma peau ne m'arrêtaient. Je pleurais, je pleurais, je pleurais.





Mon Dieu que cet endroit est apaisant.
Comme je viens de l'écrire, il fait partie de ces lieux qui laisse une impression de déjà vu. Un sentiment d'appartenance. Un petit goût de "on y reviendra hein ?". "Oui bien sur !". Et de "Évidemment". Alors forcément, savoir que j'avais découvert pareil endroit et que je ne pourrais jamais y amener ma montagne, ma maison, mon toit. Mon père. Ça fait chavirer les coeurs. Ça a noyé le mien.

Mes yeux arrivent bientôt à vaincre le tsunami lacrymal. Toujours allongé et donc au ras du sol, je prends cette photo en balançant mes bras en arrière. Je l'ai remise à l'endroit pour éviter les torticolis.



Nous repartons tout doucement. On remonte le lac que nous laissons cette fois courir sur notre droite. Il fait faim. Je suis vide. Il fait faim. On avance, on avance et nous sommes rapidement vers chez nous. Mais nous nous arrêtons à vingt minutes de la maison dans un de ces cafés en plein air. Je viens de voir sur internet que c'est la traduction proposée pour l'anglais Beer Garden et l'allemand Bier Garten. Celui-là date de 1876 ! Cent ans plus vieux que moi. La bouffe n'y est pourtant pas rassie et la bière pas dégueu. Il s'appelle Rübezhal du nom du géant tellement grand qu'il n'a pas vu que je le prenais en photo, une blonde à la main.





Quand j'en saurai plus sur les histoires de géants (il y en a plein apparemment dans notre coin, autour du lac !), c'est promis, j'en causerais sur le blog.


Une bien belle journée donc.
Sucrée salée.



Le soir, quand nous rentrons, nous préparons un repas et le plus poilu d'entre nous (non, Claudia s'était épilée en février !) nous accueille avec un amour pur et complètement désintéressé. Ah, c'est bon de se sentir aimé pour ce que l'on est vraiment.







Je me couche apaisé et triste ce dimanche soir.
Ça fait un mois maintenant que tu ne réponds plus au téléphone.