La jeunesse berlinoise s'embourgeoise
Article paru dans Le Monde du 16 juillet 2009.
Et c'est tellement vrai !
Cela concerne toute une frange de notre jeunesse occidentale. On est dans de beaux draps moi je vous dis avec ces tièdes de la cafetière et ce nouveau politiquement correct. Bon courage !
Et c'est tellement vrai !
Cela concerne toute une frange de notre jeunesse occidentale. On est dans de beaux draps moi je vous dis avec ces tièdes de la cafetière et ce nouveau politiquement correct. Bon courage !
Samedi matin sur le marché du Kollwitzplatz à Prenzlauer Berg, un quartier de Berlin-Est : des trentenaires bobos tentent de se frayer un passage avec leur poussette d'enfant le long des étals de
produits bio. Entourée de façades d'immeuble rénovées datant du début du XXe siècle, cette place arborée est particulièrement appréciée des habitants et des touristes. Ils aiment venir s'y
approvisionner en légumes et fruits issus de l'agriculture biologique ou boire un cappuccino à l'une des nombreuses terrasses.
Ce lieu symbolise mieux que n'importe quel autre l'art de vivre de la jeunesse du quartier : "Les gens sont préoccupés par leurs enfants, les soirées à venir et l'achat d'appartements", explique
Johann, un réalisateur de films de 38 ans originaire d'Hambourg, venu s'installer à Berlin avec sa petite amie en 2003. L'engagement politique est ici bien rare. "On parle peu de politique, car
tout le monde est d'accord sur tout : Obama est quelqu'un de bien, Berlusconi un problème et la chancelière Angela Merkel fait du bon boulot", raconte le jeune homme. Un comportement propre à
toute la jeunesse allemande.
Der Spiegel a récemment fait sa "une" sur les 20-35 ans en faisant le constat suivant : malgré la crise, ils "préfèrent faire mousser le lait, plutôt que d'aller manifester". Selon un sondage
publié par l'hebdomadaire, seuls 16 % des jeunes sont membres d'un parti ou d'un syndicat, et 61 % affirment qu'ils s'intéressent peu ou pas du tout à la politique. C'est l'apogée de la société
du consensus : "Avoir une opinion radicale n'est pas très bien vu", confirme Johann.
Ces jeunes Berlinois ne veulent pas vivre comme leurs parents. Ni conservateurs ni soixante-huitards, ils évitent de se positionner, au risque d'être flous, à l'image des héros du film allemand à
succès Alle Anderen (Tous les autres), sorti dans les salles allemandes le 18 juin. Les deux personnages principaux, un couple de trentenaires, sont incapables de prendre des décisions, un peu
comme s'ils voulaient prolonger le temps de l'adolescence.
L'essentiel est de pouvoir se réaliser individuellement et de préserver son mode de vie. Les habitants de Prenzlauer Berg se mobilisent quand il s'agit de réfléchir au renouvellement des pavés ou
des lampadaires d'une rue. Garants d'une vie urbaine de haute qualité, les Verts enregistrent dans ce district des scores record. Aux élections européennes du 7 juin, ils ont obtenu dans certains
bureaux de vote plus de 50 % des voix.
Du temps de la RDA, ce quartier attirait les intellectuels qui voulaient se démarquer du régime. En 1989, il a été l'un des points de départ de la révolution pacifique. Aujourd'hui, Prenzlauer
Berg offre refuge à une société très homogène : beaucoup de jeunes qui travaillent dans les métiers de la culture et de la communication, des familles, et très peu d'immigrés. Les bars chics et
les boutiques de mode chassent progressivement les anciens lieux alternatifs, les supermarchés bio fleurissent et des crèches parentales élitistes ouvrent les unes après les autres. On trouve
même désormais des vendeurs de kebabs bio.
Les trous laissés dans le paysage urbain par les bombardements aériens de la seconde guerre mondiale sont comblés par de luxueux projets immobiliers. Les squares et certains trottoirs deviennent
aussi proprets qu'en Allemagne de l'Ouest. "Ça perd de son charme en ressemblant de plus en plus au quartier bourgeois d'Hambourg où j'ai grandi", déplore le réalisateur de films. Il y a bien
quelques comités de protestation et des militants d'extrême gauche qui démolissent de temps à autre quelques voitures. Mais personne n'irait entreprendre quoi que ce soit de sérieux contre cet
embourgeoisement.
Cécile Calla