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Jusqu'au bout des doigts

Jusqu'au bout des doigts

Depuis tout petit, depuis juin 1986 en fait, je fais la chronique des chiens écrasés. Sauf que mes chiens à moi sont les plus beaux. Parfois cabots, parfois timides. 

Parmi les disparitions qui marquent le plus, il y a celles de personnes qui avaient, déjà, quitté notre mémoire. Oh on n'oublie pas vraiment ! Mais le cerveau et ses méandres sont si complexes que parfois un souvenir s'y trouve inaccessible. Perdu ou enfoui. Indisponible comme lorsqu'un livre est en cours d'emprunt à la bibliothèque. Et puis la simple évocation d'un nom ou bien une chanson, une odeur, nous font ressortir en bouffée la personne en question.

 

J'ai appris ce matin la mort, bien trop jeune, de  Patrick Edlinger.

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J'avais oublié jusqu'à son nom qui sonne pourtant comme une falaise impossible à grimper. Edlinger. M'est alors revenue l'admiration qu'avait mon père (et oui, encore, je suis marqué par des belles choses que voulez-vous ?) pour ce petit être musclé, au corps bruni par le soleil, appuyé sur la paroi d'une falaise ou suspendu dans les airs.

Avant internet, avant les lecteurs de dvds ou les magnétoscopes, on était comme à la merci d'une émission télévisée ou d'un reportage. Et Patrick Edlinger apparaissait régulièrement sur le petit écran au milieu des années quatre-vingts. Il nous arrivait par exemple de le voir au détour d'un Stade 2 il me semble. La télévision ne faisait pas le même bruit que dans les années 2000 mais déjà les images de celui qui a révélé l’escalade au grand public en France nous apportaient comme un peu de calme. De sérénité. Toujours diffusées en silence ou en musique.

Paradoxalement, ce sont les gestes lents et assurés du grimpeur constamment dans le vide qui nous offraient une parenthèse de repos au milieu du vertige de nos quotidiens. 

 

J'ai eu la chance d'avoir un père aux yeux d'enfants. 

Et les siens brillaient quand, par hasard, on découvrait la silhouette de Patrick Edlinger. "Regarde, regarde !" nous disait-il. Et la bouche ouverte, je regardais les plans éloignés de la caméra se rapprocher tout doucement jusqu'au bout des doigts du petit bonhomme au bandana rouge. J'avais un bandana aussi, je voulais avoir ses cheveux longs.

Jusqu'à ce matin je mettais ça sur le compte des influences conjuguées des deux grands esthètes de la mode que sont le chanteur Renaud et MacGyver. Mais, enfoui dans mes méandres écervelées évoquées plus haut, il devait y avoir mon admiration pour l'escaladeur aux mains nues.

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Voici quelques-unes de ces images qui sont extraites du film de Jean-Paul Janssen Opéra Vertical.

Nous sommes dans les gorges du Verdon, en 1982. Pour la petite histoire, il avait ici les pieds nus puisqu'il avait décidé, au démarrage, de retirer ses chaussons.



Et retrouvez ici l'autre film de Jean-Paul Janssen dans son intégralité :  La vie aux bout des doigts. Ce film reste mythique à plus d'un titre dans le monde de l'escalade. Il est considéré comme le premier film d'escalade.



 

Hier soir, nous nous étions loué la dernière adaptation de Spider-Man. Le film n'est pas si mal d'ailleurs. Mais ce matin, celui qui grimpe encore et encore, à mains nues et toujours plus haut, c'est bel et bien Patrick Edlinger.

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