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Les gros maux

Les gros maux

Je n'avais pas trop le droit de dire des gros mots devant mon père. Il était sévère là-dessus. Et c'est peut-être pour cette raison que j'éprouve parfois du plaisir à en dire aujourd'hui mais toujours, toujours, en les choisissant avec beaucoup d'attention. Une sorte de juron qui serait réfléchi quoi.

 

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Nous sommes le jeudi 19 juin, il y a vingt-cinq ans. Mon père est rentré plus tôt du travail. Il fait beau, il fait chaud. Dans ma chambre d'alors, celle convertie en bureau où je ne trouverai pas le sommeil dans la nuit du 16 au 17 avril 2009, trône mon baby-foot. Il y a quelques heures à peine, sur la route qui mène de Cannes à Opio, Coluche nous a laissé plantés là. La tête la première. Et sans casque.

Quand la radio vient annoncer l'accident et la mort de Michel Colucci, je laisse le ballon filer sur le petit terrain vert bouteille et je lâche pour la première fois, bien fort, un gros mot devant mon père : "Merde !".

 

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Je ne savais pas que cet instant exact serait gravé dans mon esprit, si clairement. Pour toujours. La chaleur de l'après-midi du presqu'été, les fenêtres ouvertes, les grosses mains de mon père sur les cannes du baby-foot, la balle qui file taper un joueur en plastique, le flash-radio, la partie interrompue et mon juron. Un moment où tout basculerait. Dans ma vie, dans ma tête.

Je l'ai souvent répété mais la mort de Coluche fut un des plus gros traumatismes de mon enfance. L'idée de la mort rentrera alors dans ma tête pour ne plus en ressortir. Il n'y a que lorsque je ris ou que je chante que je n'y pense pas ou plus. Et après on s'étonnera de me voir toujours rire. Ou chantonner.

Et pourtant, à peine deux ans auparavant, j'avais senti le souffle gelé de cette vilaine bête sur mes joues rebondies. Une tempête de neige en plein été. Mais là, plus âgé, j'avais encaissé coup sur coup les disparitions brutales de deux zigotos qui furent parmi mes premières idoles (Daniel Balavoine et donc, Coluche). Au risque de choquer, ce fut l'évènement qui me précipita en adulescence. À dix ans, je perdais beaucoup mais je gagnais aussi le droit, éternel, de toujours avoir en moi une part d'enfance. Et croyez-moi, j'en jouis aujourd'hui.

 

 

Il y a vingt-cinq ans Coluche était encore vivant pour quelques heures encore. Et puis ici, en 2011, à Berlin, le téléphone sonna. Que c'était bon d'entendre la voix de ma petite soeur. On a célébré la fête de notre paire sans faire chier personne.

 

Et merde... j'ai dit "chier" !

 

 

 

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