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Le chat noir et le chat-grain

Le chat noir et le chat-grain

Il y a deux semaines aujourd'hui, j'étais le Père Noël. Le plus beau de mes rôles de composition.
Tu étais dans ta chambre et après t'avoir distraite, c'était au tour de Maman de venir te tenir compagnie. Je prétextais devoir sortir les poubelles. À pas de loup, sous le sapin, je déposais quelques cartons et boîtes.

Le seul témoin de mon forfait ? Le chat. Il ne dira rien. Il me regardait en plissant les yeux, complice. "Moi aussi je t'aime le chat", je retournais vous rejoindre. Jouer la comédie.

Aujourd'hui tu es à nouveau dans ta chambre. Il est plus tard. Je ne joue plus les pères Noël mais les voleurs. Les tueurs. Les brigands. Un rôle de décomposition. Devant moi, le chat noir qui était là avant toi est en train de suffoquer. Il finit sa courte vie par des minutes et des minutes que je trouve bien trop longues.

 

Ce matin tu as compris que le chat allait partir. Pardon, mourir, comme tu dis. C'est fou, l'année dernière quand il allait mourir une première fois, tu n'avais pas l'air concernée. Enfin si mais... différemment. De loin. 
Ou alors c'est moi qui étais loin. De toi.

Depuis près d'un mois tu es à la maison avec nous. Tous les jours. Papa et Maman travaillent et toi tu ne peux plus aller à l'école. Le coronavirus.
D'ailleurs tu m'as demandé si c'était ça la maladie du chat. Je ne crois pas non. 
En même temps je ne sais pas trop ce que c'était. Les reins, tout ça. La vie quoi.

Aujourd'hui tu as vu couler quelques larmes sur le visage de Maman. Sur le mien aussi, si tu as regardé au bon moment. C'était quand je séchais mes joues dans tes cheveux de moins en moins blonds.

Tu as fait preuve d'une haute connaissance de la mort. Peut-être qu'en douze mois (ou plus ?) tu as eu le temps d'ingurgiter ce machin là. Le départ. Celui d'où on ne revient pas. La Mémé d'Aiton mais d'abord Uri. Et puis le papa de Simba même si on avait arrêté tout de suite. 
"Écoute, il faut que je te dise quelque chose de bizarre." Tu me parles alors du grand frère de ta copine Lissa qui est mort dans le ventre de sa maman. 

Parfois les larmes disparaissaient. Nous, les parents, avons essayé de travailler comme on a pu. Pas beaucoup. Toi tu veillais sur le chat. Tu regardais aussi des dessins animés. Faut pas déconner non plus.

À midi les larmes sont revenues en même temps que tu me posais une question.
"C'est quand qu'il va devenir vieux le chat ?".
Car dans ton esprit la dernière étape avant de mourir c'est "on devient vieux". Je suis resté con. Je t'ai dit qu'il n'était pas très vieux pour un chat. C'est là que tu m'as raconté pour le grand frère de Lissa. Qui lui, pour le coup, était à la fois mort et pas vieux du tout, du tout.

Puis cet après-midi Maman t'a expliqué que si le chat arrêtait de vivre, on lui ferait une place dans le jardin de Oma. À côté de Felix.
Au moment d'aller te coucher ce soir : une inquiétude. Et si le chat mourrait pendant la nuit ? Tu pensais qu'au moment de mourir, son corps disparaîtrait. Tu as dit à Maman en allemand : "sa fourrure, tous ses poils vont commencer par s'envoler et puis...". Tu me tournais le dos, tu ne me voyais donc pas. Heureusement, car venait de se jeter sur moi, sur mon visage et mes yeux, une espèce de monstre qui riait et pleurait en même temps. Il me dévorait bientôt tout entier.
On t'a rassurée, son corps serait là demain matin si jamais...

J'ai alors sauté sur l'occasion pour te dire que notre corps n'était qu'une enveloppe. Mais je n'explique pas aussi bien que George Harrison alors j'ai arrêté de parler. Il parle, bien mieux que moi, de transition, de changer de costume, etc... Mais tu m'as regardé bizarrement quand j'ai dit le mot "enveloppe". Faut dire qu'on en a envoyées quelques unes avant Noël alors je comprends la confusion.
Je me suis tu.

 

 

Voilà, le chat a donc fini par mourir. C'était trois minutes avant dix heures ce soir.

Dire que je l'avais filmé juste avant Noël bondissant dans tous les sens après des croquettes. Monté sur ressors. J'avais même eu le culot de titrer : "Même pas mort". Quel con.

La mort se cachait dans les méandres des jours et des nuits. Dans le feu de Washington hier soir, dans la galette des rois que l'on cuisinera ensemble dimanche.  On ne cachera pas la fève de peur que le chat s'étouffe avec. Tu te souviens, il était tellement bête que parfois il bouffait n'importe quoi ?

Je t'écris ça ce soir car demain matin il sera dans ma gorge le petit chat. Et je ne trouverai pas les mots pour te dire mon chat-grain et partager le tien.