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Par Toutatis ! Un mot de Sylvie Uderzo.

Par Toutatis ! Un mot de Sylvie Uderzo.

Je viens de lire cet article paru dans Le Monde d'aujourd'hui et j'ai eu envie de le poster sur le blog.






Aux lecteurs d'Astérix, par Sylvie Uderzo
LE MONDE | 14.01.09 | 13h44  

 
Nous sommes en 2009 après J.-C. Toute la Gaule est occupée. Toute ? Toute ! Car la tribu d'irréductibles Gaulois qui résistait encore et toujours à l'envahisseur serait en train d'être définitivement vaincue par les troupes de Jules César... Tout est perdu ? Non ! Aujourd'hui, j'entre en résistance. Pourquoi ? Parce que Astérix est mon frère de papier.

 

 

Mon père s'appelle Albert Uderzo et m'a élevée avec sa potion magique au quotidien. A tel point que ma maîtresse d'école, en classe de 8e, a cru devoir le convoquer pour lui expliquer que mon cas pouvait devenir grave si je continuais à croire que les Gaulois survivaient grâce à la potion magique du druide Panoramix... Voilà pourquoi, quelques décennies plus tard, je me retrouve à entrer en lutte contre, peut-être, les pires ennemis d'Astérix : les hommes de l'industrie et de la finance. Ceux qui ont poussé mon père à renier toutes les valeurs avec lesquelles il m'a éduquée : l'indépendance, la fraternité, la convivialité et la résistance... Ce premier acte de la victoire de l'envahisseur sur les irréductibles Gaulois est le seul scénario que l'on n'a jamais osé imaginer... Comme si les personnages Détritus ou autres Acidenitrix étaient venus au Village, avaient vu le chef, Albert, mon père, et avaient vaincu... Comme s'ils avaient obtenu que les portes du Village soient ouvertes à l'empire !

 

Je comprends mieux pourquoi, depuis dix-huit mois, une crise s'est ouverte au sein de notre famille et de notre société. L'objectif était bien de m'écarter de la société créée par mon père en 1979, au lendemain de la disparition de René Goscinny. Il y a vingt ans, mon père avait, en effet, souhaité que je le rejoigne au sein des Editions Albert René, petite structure dédiée aux albums qu'il réalisait et aux développements des licences. En 1992, il m'a ensuite proposé de prendre la direction générale de l'entreprise familiale. Enfin, depuis la fin 2001, mon père, alors âgé de 73 ans, m'avait demandé de reprendre, avec mon équipe, l'essentiel des activités, car il souhaitait prendre du recul et se consacrer à ses nouveaux albums. Une parole entre nous a toujours suffi. Les différentes missions que m'avait donc confiées mon père ont toujours été remplies... Et puis, patatras ! C'est un virage à 180 degrés ! A 81 ans, il décide de faire tout ce qu'il m'avait toujours enseigné de ne pas faire !... Son entourage, recruté sûrement par César du côté de chez Dark Vador, répète en boucle : "Il a quand même le droit de faire ce qu'il veut, c'est son oeuvre !" Voilà la réponse qui arrange, ici comme ailleurs, une poignée de conseillers de l'ombre, rôdant autour des artistes pour saisir l'opportunité de "se servir" avant qu'il ne soit trop tard.

Je vous le dis, la question n'est pas, ici, une histoire de conflit familial agité comme un chiffon rouge devant les yeux du taureau, mais bien l'histoire d'une manipulation destinée à changer le cours naturel de la vie et de la survie d'une oeuvre artistique. Œuvre unique qui appartient au patrimoine national et dont je suis fière ! Je me battrai donc, non pas contre mon père, mais pour préserver tout ce qui l'a fait, tout ce qui l'a animé : son oeuvre imaginée à quatre mains avec René Goscinny !

Quand je lis que mon père a accepté de laisser un éditeur développer les albums d'Astérix après lui, voire de son vivant, c'est la triste confirmation de ce que je craignais depuis des mois. Je sais que l'homme a déposé les armes devant un quarteron de conseillers qu'il aimait pourtant tant caricaturer ! Car la planète BD au sens large sait depuis toujours que l'intention d'Albert Uderzo a toujours été de faire comme Hergé : après lui, il ne devait pas y avoir de nouveaux albums signés par d'autres auteurs ! Et toute l'affaire est à l'encan.

Non, Astérix n'a pas besoin de colonnes de contrôleurs de gestion ne connaissant rien au contenu des albums pour le défendre, mais bien d'une équipe dédiée, professionnelle, reconnue et respectée, à l'image de celle que nous avions constituée. C'est pourquoi je me lève et décide de sortir du bois pour ne pas laisser les prédictions, qu'un devin aurait lues dans un poisson pas très frais, se réaliser.


Sylvie Uderzo est ancienne directrice générale des Editions Albert René.